Eugène BOUDIN • La Ferme de Saint-Siméon
(Honfleur, 1824 – Deauville, 1898)
© Crédits iconographiques Région Normandie /Inventaire général/Patrick Merret – Léonie Hamard
Description :
vers 1854-1857
Huile sur panneau, 18,3 x 13,4 cm
Dimensions avec cadre : 31,8 x 29,2 cm
S.b.d.
Numéro d’inventaire : PN 2007.3.2
En cette année 1854, à moins que ce ne soit la suivante, Boudin évoque dans un croquis la présence de J.B. Jongkind, E. Van Marcke, C. Monet et A. Acardi, attablés devant la mer. Ils sont là comme au refuge d’où partent les pistes, à la recherche d’un motif, d’un angle de vue original, et sont de retour le soir, pour retrouver les amis, le dîner, le lit modeste et réconfortant. Le souvenir de la ferme Saint-Siméon, parmi les plus denses, nous est donné par le récit d’Alfred Delvau, sous forme de chronique dans Le Figaro. Ce qu’il écrit le dimanche 8 janvier 1865 produit à chaque phrase l’image d’un tableau de Cals, de Boudin, ou de Dubourg : « J’ai dormi quelques nuits de cet automne bruineux, crassinant – une expression normande fort juste – dans ce château rustique, honoré de la visite d’un si grand nombre de rois de bohême, parisiens, éreintés de rouler leur rocher sisyphéen, fourbus par la rude besogne de leur existence quotidienne, qui étaient venus se mettre au vert dans ce pâturage saturé d’eau salée […]. Chaque matin en ouvrant la fenêtre de notre cellule, j’apercevais la mer, rayée çà et là par les voiles rouges et blanches des pêcheurs rentrant au port, coeur joyeux et barque pleine, et il m’arrivait aux poumons des senteurs âpres, singulièrement apéritives. Je descendais alors me mouiller les pieds, dans la rosée d’abord, puis sur les galets boueux de la grève, où se démènent à marée basse des populations bizarres, crabes et tourteaux, moules et vigneaux, poulpes et méduses et mille autres zoophytes hideux […]. Je remontais à la ferme Saint-Siméon et je m’asseyais sous les pommiers rabougris à une table où m’attendait un château de pain brié, un plat de crevettes grises, un maquereau à l’oseille et un pot de cidre écumeux auxquels je faisais honneur ainsi qu’à deux ou trois verres de cette terrible eau-de-vie qui tue les hommes de six pieds. Le repos terminé, j’allumais une pipe et je regardais vaguement devant moi par ces échappées de feuillage durant des heures entières […]. On est en plein paysage de ce vert plantureux qui donne appétit à l’oeil et qui envahit peu à peu le cerveau de façon à ruminer au lieu de penser.»
La ferme Saint-Siméon est plus qu’un savoureux bouillon naturaliste. On y avait, comme le dira Boudin à la fin de sa vie, la vision d’un avenir meilleur. En 1859, le peintre en acceptait l’augure, en créant avec les ciels et leurs nuages cette joie dans le regard que reconnaîtront d’emblée Baudelaire, puis Courbet et ses compagnons du temps, du côté de la côte de Grâce, rejoints ensuite par Monet et Jongkind.