Adolphe-Félix CALS • Honfleur, la tombée du jour
(Paris, 1810 – Honfleur, 1880)
© Crédits iconographiques Région Normandie /Inventaire général/Patrick Merret – Léonie Hamard
Description :
vers 1875
Huile sur toile, 13 x 33,5 cm
Dimensions avec cadre : 21 x 41,4 cm
S.b.d.
Numéro d’inventaire : PN 2000.7.1
Que depuis plus de vingt-cinq ans la meilleure critique proclame que Adolphe-Félix Cals est le véritable inventeur de l’impressionnisme ne change rien à son déficit de notoriété. Le terme a peu de sens en histoire de l’art, cependant Cals a bien empiriquement mis au point cette touche courte, régulière et surtout transparente qui restitue les vibrations de la lumière gris-bleu et donne ce sentiment d’espace et de liberté, sentiment plus humble et profond que celui procuré par le jeu des empâtements. Ce solide matiérisme diffère du maçonnage de Courbet et la touche de Boudin, qui s’en rapproche, est plus écharpée.
Avant tout le monde, Cals peint l’humble et immédiate égalité de toutes choses. Sur le motif, il saisit la nature au travail. L’expérience de la pauvreté le conduit à saisir la vie paysanne avec une sincérité tactile qui tranche avec la virtuosité un peu affectée de Jean-François Millet sur les mêmes sujets.
De la génération à laquelle il est associé, Cals est le plus âgé. Il est né en 1810. C’est pourquoi, dans sa quête solitaire, modeste et inventive des impressions méditatives, si proche du Monet des années 1880 entre Etretat et Giverny, il constitue le chaînon méconnu entre Corot et le plein impressionnisme éclatant.
Il ne venait pas de la ville mais de la nature, directement. Il avait à reproduire les harmonies des sujets pauvres et austères, miroirs bien sûr d’un tempérament tendre et mélancolique. L’apprentissage chez le graveur Anselin à Paris lui profita plus que le passage dans l’atelier de Léon Cogniet. Il fit très tôt de la peinture une pratique du bonheur – ainsi voyait son biographe Arsène Alexandre – grâce à ces petits formats qu’il maniait rituellement jusqu’à toucher dans l’infiniment petit la quintessence de l’immensité, et atteindre plénitude. Il peignait parfois avec Daubigny autour de Paris et partageait avec lui une attirance pour les tons rompus et voilés. Ses débuts furent aussi ceux d’un sage portraitiste exposant régulièrement depuis 1835 portraits et paysages au Salon annuel, la plupart du temps mal placés, au point de laisser indifférents critiques et public. Il osera cependant en 1863 le Salon des refusés et se retrouvera aux côtés des intransigeants pour l’Exposition de 1879 avec Degas, Forain, Monet, Pissarro, Zandomeneghi… Des conséquences de son mariage raté et des difficultés financières à faire vivre sa femme et sa petite fille, il fut sorti par le père Martin, marchand de couleurs devenu célèbre, et par le comte Doria qui l’accueille et le protège dans son château d’Orrouy.
Commence alors selon son biographe Arsène Alexandre la seconde période de sa vie. Sa manière, moins brune, est tout aussi profonde et fouillée. Les tonalités plus grises établissent le lien avec deux peintres qu’il admirait profondément, Corot et Jongkind. On trouve à cette époque beaucoup de figures absorbées dans des tâches quotidiennes, dans la grande tradition de Rembrandt et de Chardin. En 1898, Paul Lafond consacre un article à notre peintre dans la Gazette des beaux-arts. Il décrit ainsi sa manière, qui évoque si bien ses portraits : «Cals dessine par l’ombre et la lumière, il ne voit dans la nature que des teintes qui s’associent, se mêlent, se dégradent sans formes précises ni contours arrêtés. Chez lui la ligne est toujours émoussée, fondue, comme noyée ou perdue. Sa peinture très simple, doucement caressée, très enveloppée, ouatée même – si l’on nous permet de nous servir de ce mot – est pleine de repentirs, de retouches, de tâches. Elle consiste en tons rompus avec des notes claires opposées aux notes foncées.» Enfin, pour fustiger certaines expressions plus spectaculaires que l’on pouvait rencontrer chez Paul Huet, Corot ou Isabey, Paul Lafond ajoute : «Ce poète naïf et simple qui a toujours voulu subordonner l’exécution d’un morceau à l’expression de l’ensemble, à la pénétrante émotion de l’oeuvre, n’avait que faire des roueries de la brosse et des jongleries du couteau à palette.»
Après le passage difficile de l’année 1870, Cals se retrouve désormais seul avec sa fille à Honfleur pour y vivre des jours heureux. Sa manière est toujours pénétrée de ce gris qui fera dire à Victor Jannesson dans un ouvrage sur Cals daté de 1913 : «Pour notre part, nous préférerions encore un léger excès de cette couleur qui est celle des temps couverts, à la profusion de violet dont certains peintres inondent aujourd’hui leurs tableaux, sous prétexte qu’on en voit partout dans la nature – eux, mais pas nous – et que cette teinte, disent-ils, est favorable à la perspective.» Selon l’analyse d’Arsène Alexandre, les années 1870 jusqu’à la mort de l’artiste en 1880 engendrent une troisième manière, « la plus large de toutes, la plus puissante, et la plus vraiment humaine». À cette période appartiennent les tableaux présentés ici. Il se concentre sur la mer, le port, les métiers de la marine, motifs sévères et graves encore. Les personnages sont enfouis en eux-mêmes et eux-mêmes enfouis dans la peinture. Pour leurs intensités lumineuses Cals choisit les harmonies mélancoliques du soir et du matin. «Depuis plusieurs jours, je me lève de temps en temps à trois heures du matin, et je suis, ma palette à la main, à voir le soleil se lever – et je le vois encore lorsqu’il se couche. Je ne quitte la place que lorsque je n’y vois plus pour peindre. Alors je nettoie palette et pinceaux, tout en admirant les dernières heures du crépuscule. Je monte me coucher, je jette un dernier regard sur la mer et le ciel, et je me couche enfin à dix heures, et m’endors en voyant encore de mon lit cette teinte profonde et douce, qui n’est pas tout à fait la nuit et qui n’est plus du tout le jour.»
Si l’absorption du peintre dans sa manière est bien dans les données fondamentales de la nouvelle peinture, la contribution de Cals, malgré ses petits formats, apparaît des plus immense. L’échange physique, si caractéristique de Courbet en Normandie, est au coeur de sa vie. Il faut travailler, dit-il, « sans se préoccuper d’autre chose que du bonheur de posséder la nature, et il faut y aller avec passion, avec fureur, ne penser qu’au bonheur de la possession, ce qui n’empêche pas un travail plus calme, plus réfléchi et dans lequel on apporte aussi le sentiment passionné qui doit toujours posséder l’artiste». Comme Courbet, Huet, Corot, Monet, Cals appartient bien à ce courant de la peinture qui cherche à transcrire cette physique des éléments, si manifeste en Normandie, aussi primordiale que la captation de la lumière.