Karl DAUBIGNY • Vue des grèves à Villerville
(Paris, 1846 - Auvers-sur-Oise 1886)

© Crédits iconographiques Région Normandie /Inventaire général/Patrick Merret – Léonie Hamard
Description :
vers 1870
Huile sur toile, 54 x 65 cm
Dimensions avec cadre : 74 x 85 cm
S.b.d.
Numéro d’inventaire : PN 2007.7.1
L’Oise, la Seine, la mer, Daubigny est le peintre de l’eau. Avec la mer, le paysage est simplifié, comme si le pré, la falaise basse, l’estran, les vagues, le tout maintes fois saisi à Villerville, appartenaient à une même substance, dont la réalité physique est d’emblée soumise à l’impression, sans que le regard sur ces tableaux puisse être tenté par une autre forme de vérité, plus proche de l’illusion. Le mot impressionniste est réducteur, il ne restitue pas la diversité de manières des paysagistes de l’époque, souvent porteurs d’élan romantique et de sens baroque dans le traitement des flux. Mais s’il fallait, comme le veut la critique, résumer le sens du vocable, Daubigny l’aura admirablement incarné dès les années 1860, avec une palette désormais vouée aux tons clairs et rompus.
Plus encore que Corot et Courbet, Daubigny est le peintre des synthèses, qui ne voit pas d’issue pour la peinture en dehors du paysage. Il fait l’expérience de la pénétration du milieu avec le principe du Bottin, son célèbre bateau-atelier, qui le dégage des contraintes de la composition et des règles du paysage : ne peindre que ce qui s’offre au champ visuel, sans choisir ou aménager. Le bateau-atelier constitue un point de vue dans le paysage, une position d’où le peintre est à la fois présent et absent, comme caché dans une bulle qui flotte au milieu de la nature.
Monet, Lepic, Le Sidaner, et Boudin dans les années 1890 seront capables de reproduire à leur tour cette vision bouleversante qui semble atteindre l’âme de la nature, plutôt que de dessiner son visage. Cette vision, qui mêle le proche et le lointain, donne l’impression que le peintre est au milieu des éléments. On comprend le danger qu’ont pu représenter les paysages de la maturité de Daubigny pour le milieu académique, maître de la participation au Salon. Ces grands espaces inhabités, irréels, seront écartés, nous dit Emile Zola dans le compte-rendu du Salon de 1876. Et finalement, Daubigny démissionnera du jury.
Les tableaux qu’il peint à Villerville sur le pré des Graves sont d’une puissance expressionniste inégalée à l’époque. La touche possède cette virulence organisée qui permet l’analyse physique des éléments. La gravité qui se dégage de cette marine appartient à cette quête des essences propres aux grands maitres naturalistes qui ont ouvré dans cette contrée. La strategie de l’image semble atteindre un point de non-retour. Le pittoresque est vaincu par l’héroïsme des éléments.