BORDS DE MER - LABEURS

Photo du tableau Les ramasseuses de moule sur la plage de Honfleur de Louis-Alexandre DUBOURG
Ramasseuses de moules sur la plage de Honfleur - Louis-Alexandre DUBOURG

En mal de sincérité parce qu’ils avaient connu ce monde autre, les peintres se tournent vers les blanchisseuses et les pêcheurs, tandis que déjà beaucoup d’entre eux se convertissent aux petits métiers du tourisme : promener en mer, tirer les cabines vers le rivage, pêcher pour nourrir les nouveaux arrivants. La côte se transforme et se construit : hôtels, établissements de bains, casinos, et la foule est entraînée par les célébrités de l’aristocratie et du spectacle qui s’installent dans leurs nouvelles demeures. Il est fini le temps où Eugène Isabey pouvait croquer à distance tout ce monde pittoresque. Il est désormais morcelé, manipulé, intégré comme faire valoir à ce nouveau mode de vie. Dans leurs vues, les artistes tentent encore de tempérer les chocs et d’organiser ces mélanges. Ils se vivent toujours comme des détenteurs de secrets qu’ils délivrent parcimonieusement d’un tableau à l’autre, évitant dans leurs mises en page les effets les plus grossiers des implantations modernes.

Les régates emplissent l’horizon marin et les scènes de course se substituent à l’arrivée des diligences et aux travaux des champs. Ces motifs naturels perdurent dans la vision des peintres, mais ils seront désormais comme extraits de leur contexte de vie, analysés comme des objets de curiosité, dans leurs spécialités physiques. Viennent pour eux les compromissions, celle célèbre du socialiste Courbet, invité du comte de Choiseul en 1865 à Trouville et qui fut tenu de couvrir « tout l’éventail des occupations d’un vacancier : des marines, un tableau de baignade (une femme dans les vagues sur un curieux “podoscaphe”), de nombreux portraits mondains et une femme de pêcheur qui porte des mouettes mortes sur son épaule33». Cela rappelle Baudelaire louant les croquis de Constantin Guys, son peintre de la vie moderne 34».

Claude Monet est bien sûr le peintre de ces contradictions, lui qui avait construit sa peinture avec les paysages de la Manche, à force de ciels, de vent, de ports, de plages et de falaises, lui qui s’était frotté à Paris et ses réalités fulgurantes après avoir été tenté par la grandiloquence de l’esprit de Barbizon, en 1864 et 1865. Sa peinture de la Normandie commence en 1864 à Sainte-Adresse, puis il y revient en 1867. Au contexte prenant des marins et des pêcheurs auquel il faut bien ajouter la nouvelle dimension touristique dont les acteurs étaient avides non seulement de loisirs et de bains de mer, mais aussi de ces marines qu’ils achetaient parce qu’elles leur rappelaient de bons moments et tenaient lieu, à distance des moments vécus, de supports nostalgiques garantis par la double présence de ces fragments de vie qui ressemblaient à la leur et d’envolées sur la mer infinie, s’ajoutait, comme si cela ne suffisait pas, l’atmosphère anglaise qui habitait en profondeur les hauteurs de Sainte-Adresse comme le rivage de Trouville. Et c’est alors que survient dans la manière de Monet la liberté et l’efficacité des gestes, la disposition rapide, abrupte, des motifs dans les compositions qui se doivent de conjuguer la mer, la pêche, la régate, les vapeurs et la mondanité. Brusquement, il s’éloigne des fictions profondes proposées par Corot, Daubigny et Jongkind pour s’emparer vite fait de cette liberté de geste que les aquarellistes anglais réservaient aux analyses particulières des mouvements météorologiques.